Pour ceux qui croyaient que je partais aux Seychelles ce mois-ci, en fait non, voici un aperçu de ce que je me suis payé du 21 mai au 15 juin :p
Je sais je sais...c'est long, mais z'êtes pas obligés de lire hihi^^Et puis, pour ceux qui plus tard devront faire des stages dans ce genre de boîte, voilà le genre de situations dans lesquelles on peut se retrouver
Un premier jour déstabilisant dans ces grands bureaux que sont les locaux de Peclers. Je sonne, mes sacs à la main, un peu perdue, anxieuse. Je me lance, allez hop je suis pas une poule mouillée, j’arrive le sourire aux lèvres, direction l’accueil.
“Bonjour, je commence aujourd’hui mon stage chez vous, est-ce que Mme Chadenier est là?”
“Ah non.... pas encore arrivée, attendez là.”
Une heure d’attente sur un siège toutefois confortable, Martine est en retard (comme d’habitude, me dirai-je plus tard).
Un bruit de poulailler parvient à mes oreilles, une bande de quinquagénaires gloussantes et excitées entrent dans l’agence. Tiens, Martine doit en être. Elle vient vers moi, me sert la main, ça y est c’est parti!
Elle me prévient qu’elle est “over-bookée-méga-saturée-au-secours-chui-trop-demandée-désolée-j’aurai-pas-masse-de-temps-pour-toi-ma-belle-mais-tu-feras-des-photocop”. Ok, j’ étais préparée.
125 photocopies plus tard, elle me fait visiter les locaux et me présente les gens. “Saluuuuut Sylviiiieuh ouais alors le projet André laisse tomber et puis bon Brigitte mine de rien elle assure pas son boulot je vois pas comment on peut régler ça et pi moi merde on me demande partout là tiens au fait c’est Aurélie ma stagiaire (je tique) ouais donc bon on s’appelle okok faut ABSOLUMENT qu’on se voit au fait t’as vu la nouvelle ballerine Marc Jacobs trop MIGNOOOOOONE”. Cinq minutes plus tard, c’est au tour de Nathalie, puis Dominique, Anne, Véro, Steph, et toute la bande, tous les services.. je saurai par la même occasion que Vanessa est enceinte, Thérèse vient de se faire plaquer, Monique est une ratée, H&M c’est H&Merde, le legging c’est la classe, le baggy c’est has been et Martine a trop de boulot, vraiment non c’est pas une blague elle en peut plus là d’ailleurs trop pressée elle a rendez -vous à 11 heure et ho elle est déjà en retard nan mais vraiment elle bosse comme un âne c’est pas possible à peine revenue des Caraïbes qu’il faut qu’on lui saute dessus.
Je me retrouve toute seule face à ma photocopieuse, qui sera ma nouvelle amie pendant 4 jours. Sisi une photocopieuse elle en voit des choses mine de rien.
Comme je suis organisée, j’ai ramené mon tupperware pour manger le midi. Je m’installe avec délectation sur un tabouret en mousse, m’apprête à sortir ma salade, et au moment délicieux où ma fourchette va entrer dans ma bouche, j’entends un “hem...normalement on a pas le droit de manger ici.” Je me retourne, tiens surprise, une autre quinquagénaire, mais un peu moins sympa celle là on dirait. Je lui explique que je n’ai pas tellement le choix, étudiante et fauchée, le restau japonais d’en bas à 30 euros le menu, c’est un peu cher pour moi, mais que si elle veut, je peux aller manger dehors sous la pluie ça me dérange pas hein. Elle me lance un regard torve et me prévient qu’en fait c’est toléré, mais qu’elle supporte pas l’odeur de la bouffe nan vraiment c’est écoeurant. Je conviens qu’une odeur de salade ça peut vraiment empester c’est sûr. Elle s’en va en me toisant de haut. Voilà, déjà une qui m’aimera pas, bien joué.
La semaine se déroule tranquillement, on me regarde un peu de travers, ben ouais j’ai pas les incontournables spartiates Isabelle Marrant, ni le jean slim, veuillez m’excuser je ne fais que passer...
La photocopieuse et moi devenons carrément intimes, on se confie beaucoup de choses.
Semaine suivante, grand meeting, je rencontre Nadège, la styliste avec laquelle je vais principalement travailler. Une fille très sympa, qui semble assez débrouillarde et créative. On se paie les interminables réunions de “briefing du cahier” avec Martine, qui s’en va parler à quelqu’un toutes les 4 minutes ou passer un coup de téléphone. J’aide Nadège à recoudre un gilet à la machine, et là, on me dit “ben ça a pas l’air d’être ton fort la couture droite, tu sais ici il nous faut des gens très soigneux et bricoleurs”. Je crois rêver. Tout ça parceque sur la couture du gilet, il y a UN endroit où j’ai dérapé. Nadège découd, recoud, l’effet est le même. J’avoue que le sentiment de triomphe fut assez fort, nanmého! “Ah ben nan la couture est trop grosse ça passera pas à la machine”. Sans blague.
J’explore la cave de Peclers. Première étape, le trousseau équipé de 34 clés, toutes pareilles, faut deviner laquelle ouvre la porte. C’est rigolo, un peu comme au loto, on reste une heure à essayer toutes les clefs, et puis c’est toujours la dernière qui marche. Bon ok, il y avait écrit “cave” dessus, mais j’ai une excuse, c’était un peu effacé...
J’ai la phobie des caves (souvenirs de frayeurs d’enfance), et suis un peu clostro, donc la préparation psychologique a été rude. J’ai des couleurs à chercher. Rien de plus simple. Le problème c’est qu’avec toutes ces émotions, j’ai un peu oublié ce que je devais aller chercher. Ma fierté oblige, je ne remonterai pas, non, je vais lui dénicher des trucs supers, je suis pas une stagiaire de 16 ans issue de son lycée pro, j’ai de l’autonomie quand même, chui aux beaux-arts moi! Je fouine, je découvre, évidemment je me cogne, je me perds, je trouve pas, je m’énerve... finalement je prends quelques matériaux intéressants, je remonte en courant, on sait jamais y a peut être une sorcière qui va m’attraper par les pieds pour me manger les tibias.
Plusieurs descentes à la cave seront toutefois nécessaires pour que mon rythme cardiaque ne dépasse plus celui d’un petit lapin en fuite rien qu’à l’idée d’y aller.
Mes premiers voyages dans la salle ordi seront d’un manque de rebondissements effrayant, rien à voir avec la cave. Martine m’a réservé un poste, pour la semaine, il faut déjà m’adresser à la porte de prison qui sert de moniteur informatique pour savoir lequel c’est. Ensuite, trouver une chaise, et tiens ho zut je suis juste en face de la fille qui me lance des dagues par les yeux à chaque fois qu’elle me croise. Je lui adresse un sourire furtif, elle baisse le regard, nous n’avons pas les mêmes valeurs.
Le moment crucial: est-ce que le mot de passe que l’on m’a attribué va marcher? Evidemment que non. Je me retourne vers Françoise (le glaçon frigide moniteur informatique), lui lance mon plus beau sourire (“aie l’air franche elle est peut être très sympa hein on sait jamais”), et ose, au bout de 30 secondes d’hésitation (oui les sourires semblent lui donner la nausée), la question décisive:
“excusez-moi, mon mot de passe ne marche pas, est-ce normal?”
Une demi-minute de tension, elle me provoque en duel du regard, j’ai un peu envie de partir en courant, mais bon, je soutiens le regard et le sourire brite, elle s’avance vers moi, bidouille 36 combinaisons possibles de mot de passe, au bout de 10 minutes, elle trouve le bon, on avait juste oublié un espace....
La chaleur est insoutenable, avec les machines qui chauffent, les gens qui transpirent... eh oui, tout rendre dans les délais, cela occasionne souvent des angoisses.
Je finirai toutefois par apprécier ces moments de solitude, qui me permettront de consulter ma boîte mail, prendre des nouvelles de mes amis, mais seulement entre midi et une heure, quand la salle est désertée. Une stagiaire, c’est là pour bosser, pas pour faire du msn ...
Premier et dernier accrochage avec Martine: une histoire de clés. Nous sommes le lundi 11 juin, 8 heures du matin, j’arrive au bureau, ravie d’étrenner ma dernière semaine au sein de l’entreprise. Martine arrive en courant, je la salue. Ne prenant même pas la peine de me répondre, elle me toise, et balance:
“Bon Amélie. Je suis très énervée là. Vendredi soir je t’ai prêté mon badge tu me l’as pas rendu j’ai dû sonner pour entrer au bureau ce matin.”
Blanc. Aucun souvenir de ce badge, j’étais sûre de lui avoir remis en main propre. Je lui suggère de bien regarder dans son sac, je suis sûre de l’avoir rendu ce badge, ou sur son bureau, ou il est peut être tombé j’en sais rien, je suis désolée je voulais pas vous mettre dans l’embarras....
“Nonon, il est pas sur mon bureau je l’aurais vu, si tu l’as laissé à la cave et qu’il y a eu un vol ça va être de ma faute, nonon vraiment ça va pas ça je suis furieuse.”
Je fonce à la cave, retourne toutes les piles de tissus, ouvre toutes les portes, puis fouille toute l’entreprise, tous les bureaux, paniquée, en sueur, je demande à chaque être humain que je croise s’il a pas vu ce p.... de badge, non personne l’a vu oh ma pauvre t’as perdu le badge de Martine aïe... Je passe 1 heure à tout arpenter, l’angoisse monte, elle a vraiment l’air fâché là.
9heures30, pas de badge. Je remonte la queue entre les jambes dans son bureau, prête à me prendre le savon de l’année, ça y est il fallait que je gâche tout...
J’entre, et là, je la vois tout sourire, elle vient vers moi:
“Ahhh ne t’inquiètes plus, je lavais oublié sur ma table vendredi en partant, les filles l’ont retrouvé juste après que tu sois descendue, eh ben, ça va? T’as pas l’air bien, hihi je t’ai fait peur hein?”
Sans commentaire.
Dernier jour, vendredi 15 juin. Martine s’avance pour me dire bonjour:
“Je suis triste que tu partes tu sais, la stagiaire qui va te relayer, c’est une gamine de 16 ans pas bricoleuse, un peu molle, qui prend pas d’initiatives et qui n’y connaît pas grand chose en iinformatique....franchement on va te regretter, tu veux pas rester un peu?”
Elle est très souriante, elle a l’air sincèrement embêtée, mais bon, je suis pas mère Thérésa, et je vais pas louper mes examens de fin d’année pour rafraîchir son ego professionel. Je lui explique que non, c’est impossible, mais j’aurais passé de bons moments ici sisi je vous jure, ah non je me suis pas ennuyé, avec toutes les oeuvres d’art que j’ai produites ce mois-ci, j’ai appris plein de choses hyper utiles à mon épanouissement personnel. En vérité..... j’avais envie de rentrer!
Je lui rappelle que l’on s’était prévu un rendez vous dans la journée pour faire le bilan de mon stage. “Ah.... oui c’est vrai j’avais oublié...”. Je passe la fin de l’après-midi à lui courir après pour quelques instants de disponibilité, elle m’accorde un créneau à 19 heures. On commence à peine qu’une styliste arrive pour discuter avec elle. J’attendrai 20 minutes qu’elles aient fini. Puis, coup de téléphones, encore 5 minutes. Puis zut j’ai oublié un papier en bas, 10 minutes. A 20 heures, elle s’assied près de moi “oulà il est déjà huit heures? On va devoir faire vite hein, mais bon tu pourras repasser en juillet si tu veux me voir plus longtemps!”
Je soupire, je me sens fatiguée tout d’un coup. Oui, d’accord, je serai de toute façon à Paris en juillet, je passerai. Elle prend mon numéro de portable pour me joindre “je te note sous stagiaire hein, parceque tu me connais maintenant, dans 3 semaines j’aurai oublié ton nom hihi”. Ha-ha.
Les rapports humains se sont souvent limités à de brèves salutations, parfois à de petites discussions auxquelles je m’adaptais. Oui, la collection Kate Moss c’est pas ma passion dans la vie à vrai dire. Les gens semblent toutefois assez solidaires, j’ai pu demander des coups de main sur l’ordinateur environ plusieurs fois sans me faire snober.
Il n’y a presque que des femmes dans cette entreprise, et je me suis étonnée de l’ambiance pacifique qui y régnait. Les crêpages de chignon se faisaient en douce, et Martine me racontait pas mal de choses, comme ses relations avec ses collègues, le travail qu’elle faisait pour les autres, le budget en baisse de la boîte, qui n’avait plus de quoi se payer des free-lance, la surabondance de stagiaires....
Effectivement, j’ai eu la nette impression de palier au manque de graphistes, de stylistes, de mannequins même! J’ai toutefois pris du plaisir à travailler avec elles. Pour une première fois, j’ai eu l’impression de ne pas trop faire de gaffes, ou disons plutôt que je n’ai pas ralenti l’élaboration du cahier.
Ma “production” sur place me laissa un peu perplexe après un bilan personnel. Des ptites fleurs, des ptits trucs, des ptits machins... Je pense que j’aurais pu proposer autre chose, de plus pertinent, mais en même temps, ce que je lui faisais, elle “adorait”. J’ai, à ma décharge, essayé de m’adapter et de coller au mieux aux attentes des stylistes. Je me suis montrée la plus disponible possible, toujours prête à rendre service (ahhh la photocopieuse...), d’humeur égale.
Peu habituée à répondre à une commande dans des délais précis, j’ai eu un aperçu de ce que cela demandait comme énergie, comme investissement, comme efficacité, et remise en question.
J’ai connu le stress des 3 jours avant les photos, avant le rendu du cahier. Le fait de ne pas avoir le choix, d’être obligé de rendre ses créations à temps m’a beaucoup stimulée. Le rythme de travail, les horaires (en moyenne 9 heures-20 heures, avec de courtes pauses déjeuner) m’ont apporté. Je pense que j’ai gagné en rigueur, peut être même en méthodologie: tout va tellement vite, le client n’attend pas.
Bien sûr, les travaux que j’ai effectués dans ce bureau me semblent un peu niais, superficiels. Mais je dois les replacer dans le contexte: nous devions faire pour le plus grand nombre, des productions accessibles et séduisantes, tout en restant en adéquation avec les thèmes. La notion de création est limitée, les projets sont bourrés d’obstacles: pas de formes ambiguës, pas de signe se rapprochant d’un symbole religieux ou d’une identité nationale, pas trop d’audace, et évidemment, pas de déjà-vu.
En feuilletant les cahiers de tendance des années précédentes, je souffle. Il suffit que cela soit “beau” et que ça colle aux thèmes. Cest à peu près ce que je ferai pendant un mois. Les compositions graphiques des professionels de l’entreprise ne semblent pas très éloignées de ce que les stagiaires proposent. J’avais peur que l’on me demande des choses que je serais incapable de faire: me voilà rassurée, après quelques journées aux ordinateurs à travailler sur des compositions graphiques, j’ai réussi à m’adapter à “l’univers de Peclers”.
J’ai remarqué une chose: lorsque les stylistes feuillettent un magazine comme “Elle”, “Muteen”, “Paris Match”, pour y trouver des silhouettes “nouvelles” sur les stars ou chez les créateurs: elles ne prennent aucune distance avec ce qu’elles lisent. Les “j’adore Lindsay Lohan et Julien de la Nouvelle Star” sont de mise, ainsi que des réflexions comme “depuis que Nicole Richie a maigri elle est carrément mieux”. Je ne sais pas qui sont Lindsay Lohan, Nicole Richie et Julien de La Nouvelle Star. Je passe pour une idiote visiblement.... après m’être informée sur l’identité et l’activité de ces stars, je me rends compte que je me portais mieux avant de les connaître. Certaines stylistes ne se posent pas de questions sur la légitimité de ces magazines, sur la pertinence de ce qu’ils contiennent, suivent à la lettre les conseils de mode, de régimes, de séduction...
Par moments, je ne me sens pas vraiment dans mon élément.
Mon orgueil en prend un coup quand une styliste , pas plus vieille que moi après mon bac, me donne des ordres, de manière assez autoritaire. Cela aussi je l’ai appris: dans le monde du travail, ravaler sa fierté doit être un atout, cela veut aussi dire reconnaître la supériorité hiérarchique de son cadet.